photo @ Leo Hoorn
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Les crows Christina Lustenberger et Jim Morisson, accompagnés pour cet envol de Chantel Astorga, ont réalisé l’exploit de skier la face ouest de Great Trango au printemps dernier.
“La plupart des plus belles lignes de ski sont des voies d’escalade”, Christina Lustenberger, Lusti, a parfaitement résumé ce projet incongru de skier les Tours de Trango au Pakistan, plus connues comme des big walls parmi les plus difficiles au monde. Une vision, une ligne, née de l’imaginaire de deux skieurs, Lusti d’un côté, attirée par le Pakistan et qui aurait envisagé cette ligne d’après une photographie et Jim Morrison de l’autre, auquel Andres Marin et Anna Pfaff justement de retour des Tours de Trango, auraient soufflé : “Bien sûr que tu pourrais les grimper, tu pourrais même les skier.”
Quelle que soit l’origine de cette ligne. Il était une chose de l’imaginer, mais une autre d’en réaliser l’ascension puis de la redescendre à ski, ce que Lusti et Jim ont fait en compagnie de Chantel Astorga. Les Tours de Trango, réputées pour leurs immenses voies d’escalade sur un granit compact à plus de 5 000 mètres, n’en sont pas moins des montagnes composées de différents versants dont certains peuvent être propices à l’enneigement. Le sommet visé est la face ouest de Great Trango, la Cathédrale pour les français. Un massif en lui-même, avec trois sommets distincts : le principal (6 286 m – 20 623 ft), le sommet est (6 231 m – 20 443 ft), et le sommet ouest (6 223 m – 20 417 ft). Pour parvenir jusqu’au sommet principal par sa face ouest dans la perspective de le redescendre à ski, il faut surmonter tout un enchevêtrement de pentes et de vires qui cheminent sur un système d’arêtes enneigées jusqu’au sommet, le tout entre 5 000 et 6 000 mètres. Ce ruban de neige serpentant au milieu des parois verticales, pour des skieurs, est la clef d’une vraie descente à ski.
photo @ Erich Roepke
Focalisée sur cette ligne, Lusti va se tourner vers le comité expédition de The North Face et réussir à organiser le projet. Une équipe est envisagée autour de Lusti et Jim comprenant Hillary Nelson, l’épouse de Jim. Mais à l’automne 2022, une tragédie se produit au Manaslu. Après avoir chaussé au sommet à 8 156 mètres, Hillary dévisse sous les yeux de Jim et chute dans la face sud. Son corps est retrouvé deux jours plus tard, plus de 1000 mètres plus bas. Après ce drame, la participation de Jim à une nouvelle expédition le printemps suivant est suspendue. Mais après quelques mois, il décide d’y participer et de retourner là-haut.
Pour les accompagner dans cette aventure, Nick McGutt, skieur de Colombie Britannique habitué des grosses productions de film de ski – avec qui Christina et Ian McIntosh ont notamment ouvert la face sud du Mont Dunkirk lors d’un tournage. En avril 2023, après avoir rejoint la vallée de Hunza au nord du Pakistan, l’expédition rejoint le camp de base des Tours de Trango, paradis des grimpeurs, dans le Baltoro Muztagh, une sous-chaîne de la chaîne du Karakoram.
photo @ Savannah Cummins
photo @ Savannah Cummins
“Le camp de base se trouve à un peu plus de 4 000 m. En quittant le camp, vous empruntez la même approche que celle utilisée pour escalader la tour sans nom. De là, le chemin est direct jusqu’au camp d’altitude. Il est situé à 5 000 m sous un énorme rocher qui vous protège des avalanches et des chutes de pierres. En quittant le camp d’altitude, on s’oriente vers la droite et on emprunte un système de rampes qui mène à la partie supérieure de la montagne. C’est exposé mais pas autant que la suite. À mi-chemin de la rampe, il y a un pas de rocher en 5 dont je me suis occupée. Une fois que vous avez atteint le dernier bastion rocheux, on met le pied sur le glacier. De là, on monte vers la droite jusqu’au bras étroit qui mène finalement à une grande crevasse horizontale qui recouvre pratiquement toute la face” décrit Lusti. C’est là, à environ 5 800 mètres, que la cordée s’arrête lors de cette première tentative.
photo @ Savannah Cummins
“Les années précédentes, la crevasse n’était pas si béante, mais cette année, elle était très large et le pont de neige très fin. Nous n’étions pas préparés à de telles difficultés et nous avons dû faire demi-tour” précise Jim. De retour au camp de base, Lusti et Nick tombent malades et le temps de leur rétablissement coïncide avec l’arrivée du mauvais temps. Ce ne sera pas pour cette fois, mais une nouvelle tentative semble inéluctable. “Ce fut un succès à bien des égards, mais notre objectif de skier la ligne n’était pas atteint. Avec un tel investissement émotionnel, la vision et le défi créatif de cette montagne, nous étions sûrs d’y retourner” explique Lusti.
L’année suivante, à la même époque, soit la mi-avril, Jim et Lusti décident de reprendre le chemin de Hunza, mais cette fois, Nick McGutt, dans l’attente d’une heureuse naissance, renonce. Pour le remplacer, le vivier de The North Face est impressionnant. Chantel Astorga, États-Unienne de l’Idaho, grande grimpeuse, alpiniste et skieuse, surnommée Miss Denali accepte d’embarquer sur ce projet. Mais avant que cette équipe de choc ne se retrouve au Pakistan, Lusti profite d’une opportunité pour aller encadrer des alpinistes pakistanaises et mieux découvrir le pays.
photo @ Savannah Cummins
“Lors de notre première expédition, nous avons fait le plus vite possible pour arriver au camp de base et commencer à grimper et à skier. J’avais l’impression d’avoir manqué une partie de l’expérience de ce magnifique pays. En 2024, je suis donc partie deux semaines plus tôt pour enseigner et guider un groupe de femmes pakistanaises à l’initiative de Nafessa Andrabi. C’était une expérience vraiment cool et tout cela grâce à la vision de Nafessa. Ensuite, j’ai passé une semaine en solo à Hunza avant l’arrivée de l’équipe Trango. J’ai rencontré un gars du coin et j’ai passé une semaine incroyable avec lui à grimper en rocher et en glace, à nettoyer et à ouvrir des voies dans la vallée. C’était vraiment très agréable pour apprécier le rythme du pays et ne pas se précipiter dans l’expédition.”
photo @ Christina Lustenberger
photo @ Christina Lustenberger
photo @ Savannah Cummins
Une fois Chantel et Jim sur place, la seconde tentative se précise. L’équipe passe quatre semaines au camp de base à s’acclimater et attendre une fenêtre météo, jusqu’à ce que de grosses chutes viennent gripper la mécanique. Lusti en profite pour tomber malade avec une intoxication alimentaire surmontée d’un œdème pulmonaire de haute altitude. Les mauvaises conditions lui ont permis de bien travailler à sa guérison. “Ça a été le moment le plus difficile pour moi. Tomber malade, perdre toute énergie, et essayer de récupérer. Quand tu peux à peine sortir de ta tente. Ça jette forcément un doute sur ta capacité à grimper une telle ligne.”
Le temps qu’elle se rétablisse, la fin de l’expédition approche. Notamment pour Jim qui a une obligation impérieuse. “Je devais repartir. Je devais faire un discours important et j’étais la seule personne sur scène. Ce n’est pas une blague. Je pouvais peut-être grappiller un jour de plus, mais pas plus.” Heureusement, une fenêtre météo s’annonce. Alors qu’il était temps de rentrer, le ciel s’ouvre. Tout le monde est prêt. L’équipe a eu le temps d’étudier la voie en détail grâce aux images collectées par le drone. Après une nuit au camp d’altitude, le trio se met en route dans la nuit du 9 mai sous un ciel semi-couvert.
photo @ Savannah Cummins
“Le temps était plutôt bon toute la journée.” explique Jim. “Ce n’est pas le temps qui m’a inquiété, mais plutôt la neige à mesure que la température grimpait. Nous utilisions ces plaques de carbone sous nos pieds pour progresser dans cette neige molle. Je n’avais jamais utilisé un tel dispositif à cette altitude. Nous nous demandions donc si c’était sans danger, mais nous avons décidé d’y aller et je suis heureux que nous l’ayons fait. Puis, une fois que nous avons franchi la crevasse, il était clair que nous atteindrions le sommet.”
“Au-dessus de la crevasse, il s’agit principalement de progresser dans la neige, en évitant les grosses crevasses et en évaluant les pentes” se souvient Lusti. “L’arête sommitale était plus raide et protégée par une rimaye. Nous avons assuré Jim et l’avons regardé grimper jusqu’au sommet. Le voir atteindre le sommet était assez incroyable, son dernier grand voyage s’étant terminé par une tragédie. Il était réconfortant de le voir se tenir au sommet après tant d’efforts derrière lui. Nous l’avons suivi jusqu’au sommet et nous sommes restés debout tous ensemble.”
photo @ Christina Lustenberger
photo @ Christina Lustenberger
Photo @ Leo Hoorn
Puis, tandis que Chantel préfère faire un rappel pour chausser un peu plus bas, Christina ouvre la descente à ski, suivie de Jim. “Nous avons atteint le sommet et avons pu skier avec Christina depuis le sommet” détaille Jim. “Chantel a préféré faire un rappel sur la première longueur. J’ai skié les 500 mètres jusqu’à la crevasse en une seule fois. Habituellement, à haute altitude, il faut s’arrêter tous les quelques virages pour récupérer, mais cette fois-ci, j’ai bien skié et rapidement jusqu’à la crevasse parce que nous étions bien acclimatés. C’est drôle, en une minute, vous descendez de 500 mètres une partie que vous avez mis tant de temps à gravir. J’ai choisi des skis très stable mais plus lourd, des Solis, tandis que Lusti a opté pour des skis Camox Freebird plus légers, mieux adaptés aux descentes en haute altitude.”
Photo @ Leo Hoorn
Photo @ Leo Hoorn
Après avoir franchi à nouveau l’immense crevasse avec un abalakov, ils n’effectueront qu’un seul rappel pour skier jusqu’au camp de base. “Nous étions quatre à skier. Erich Roepke, le cadreur, qui s’était arrêté juste en dessous du sommet est redescendu avec nous. Nous avons atteint le camp d’altitude où se trouvaient quelques porteurs et un autre caméraman. Ils nous ont préparé du thé et un casse-croûte et nous avons fêté le sommet. Ensuite, nous avons tout remballé et sommes descendus. Nous avons terminé le ski de nuit et sommes arrivés au camp de base vers 22 heures” conclue Jim.
Une aventure vécue à quatre sur deux ans, avec cette grande voie de ski dans un lieu dédié à l’escalade de big wall, Lusti, Jim et Chantel, avec l’apport de Nick, ont marqué l’histoire du ski extrême. Une ligne lumineuse et audacieuse zigzaguant à travers d’immenses tours de granite. Une ligne qui fera date parce qu’elle s’est déroulée dans le temple de la verticalité, au milieu des cathédrales, et parce qu’il fallut percevoir, sous un certain angle, qu’un faisceau de neige se dessinait. Une première qui renvoie à l’esprit originel du ski extrême : skier partout où la neige tient.