Du plat pays au Pic Lénine

Le crow Ernst Sprenger, Hollandais de son état, s’est lancé avec son ami britannique Rob Johnson, dans l’ascension et la descente à ski du pic Lénine situé sur la frontière entre la Kirghizie et le Tadjikistan. Une sacrée aventure pour un skieur originaire d’un pays dont un quart du territoire se situe au-dessous du niveau de la mer.

Tout a commencé il y a cinq ans. J’avais fait mon temps à l’université et je voulais vraiment partir passer une saison dans les Alpes. En grandissant, j’ai eu l’immense privilège de skier chaque année avec ma famille. J’étais très à l’aise sur la piste, mais j’ai toujours pensé que le ski hors-piste et l’alpinisme étaient réservés aux gens qui étaient nés en montagne. Quoi qu’il en soit, je voulais essayer cette chose dénommée : “ski de hors-piste”. Ça avait l’air cool et exaltant. J’ai passé mes premières saisons à st Anton am Arlberg (Autriche) en progressant patiemment jusqu’au point où les remontées mécaniques ne me suffisaient plus. J’ai continué, me suis acheté des fixations de randonnée et suis littéralement tombé amoureux avec cet esprit de liberté, de nature et de confiance entre les participants. Progressivement, les Alpes devinrent mon terrain de jeu et je pus repousser mes capacités physiques et mentales.

En janvier 2017, j’étais parti grimper en Écosse et, en échangeant sur nos rêves respectifs, avec mon meilleur ami Rob Johnson, nous évoquions du ski en haute altitude dans des coins reculés, des expéditions, l’Himalaya… Après quelques recherches, j’ai constaté que l’Himalaya était bien au-delà de mes moyens financiers. Puis j’ai découvert ce 7 000 mètres en Kirghizie qui n’avait jamais été skié par un Hollandais ou un Britannique. Ce sommet était le Pic Lénine, 7 134 mètres, situé à cheval entre la Kirghizie et le Tadjikistan et dont la face nord était gigantesque. C’était abordable financièrement et cela nous permettait de mettre sur pied l’expédition dont nous rêvions.

Kyle Wood
Route BC to ABC Athletes: Ernst Sprenger (left) and Rob Johnson (right)

En juin de la même année, j’ai pris l’avion pour Bichkek, la capitale Kirghize avec une énorme quantité de matériel et de vivres. Sans aucune expérience des expéditions, j’ai vu large, préférant avoir trop que pas assez. Nous avons mis le cap sur Ashik Tash, camp de base du pic Lénine situé à 3 700 mètres d’altitude. J’étais très heureux d’être là-bas avec Rob. C’était comme si toute l’expérience accumulée ces dernières années trouvait son couronnement dans cette aventure. J’étais ravi de partager cela avec un compagnon en qui j’avais totalement confiance. Dès le départ, je me suis rendu compte que toutes les personnes que nous rencontrions étaient surprises de voir des skis. Ils avaient tous l’air très enthousiaste mais je suis certain qu’ils se disaient : “ces gars sont fous”.

Le lendemain, nous avons rejoint le camp 1 (4 400 mètres) également dénommé ‘ABC’. Ce serait le point de départ de notre acclimatation. Nous avions le temps et nous voulions être certain de bien nous acclimater. Avec l’altitude, les risques s’aggravent et, si j’étais habitué à gérer les aléas de la météo, des crevasses, des avalanches et de la cordée, je ne savais pas trop comment réagir au mal aigu des montagnes. Cela dit, j’étais totalement émerveillé, la montagne était magnifique. Il y avait tant de lignes à skier. J’avais hâte de chausser et de faire des courbes. On a commencé par des explorations à la journée, accentuant progressivement l’altitude et skiant chaque fois avec beaucoup de plaisir pour rejoindre le camp ABC.

Il était temps d’aller plus haut jusqu’au camp 2, de monter notre tente et d’y passer une nuit. Un départ alpin avec de gros sacs et nos skis. La voie normale pour rejoindre le camp 2 (5 300 mètres) est trop raide pour que les peaux soient efficaces et la trace était assurément plus sûre, alors on a marché tout du long. Il faisait chaud. Je n’avais plus que ma première couche sur le dos et je buvais les dernières gouttes d’eau de ma gourde. Mon altimètre indiquait 5 300 mètres. J’ai vu le camp qui se situait en traversée sur notre gauche. Nous avons fait une pause et je me suis dit que nous devions en avoir pour 30-45 minutes pour le rejoindre. Nous l’avons atteint deux heures plus tard et j’étais complètement cuit. J’avais poussé mes capacités physiques et mentales bien au-delà de ce que j’avais déjà vécu. On a monté la tente et on s’est effondré. Impossible de faire quoi que ce soit de plus aujourd’hui.

Kyle Wood
On route to Camp2 Athletes: Ernst Sprenger

Le lendemain, on avait l’impression de ne pas avoir beaucoup dormi mais plus ou moins récupéré. On a vérifié que la tente était en sécurité pour quelques jours et on s’est lancé dans une très agréable descente. Nous n’avions jamais skié aussi haut et je me suis rendu compte que j’avais besoin de faire plus de pauses qu’à l’accoutumée. En descendant à proximité de la trace de montée, des alpinistes nous encourageaient. C’était superbe. Un peu de poudre puis de la navigation entre les crevasses du glacier pour rejoindre le camp de base. Quelques jours plus tard, on est remonté au camp 2. Cette fois, la montée s’est révélée beaucoup plus facile. C’était étrange de se retrouver à nouveau au camp 2 avec assez de jus pour continuer plus haut. Pourquoi avais-je eu tant de mal à la première montée ? Nous avons passé la nuit puis, le lendemain, nous avons mis le cap sur le camp 3 à 6100 mètres. À partir de 5 800 mètres, j’ai recommencé à me sentir mal. Je devais me motiver sans cesse et je me suis dit : “mais pourquoi t’imposes-tu cela ?”

Arrivés au camp 3, nous avons poussé jusqu’au sommet du pic Razdelnaya (6 150 mètres). La vue sur le Tadjikistan était magnifique. On a chaussé et on s’est préparé à quitter le sommet. J’étais crevé, avais un gros mal de tête, mais skier paraissait routinier. Avec fluidité, j’ai enchaîné quelques courbes. J’étais super heureux. Dès que je me suis arrêté, j’ai constaté à quel point j’étais hors d’haleine. Cela m’a pris une bonne minute pour retrouver mon souffle. On a skié jusqu’au camp ABC. Et si le haut était en bonne poudre, le bas avait bien chauffé et cela devenait dangereux de traverser les ponts de neige sur le glacier. Il fallait vite se tirer !

Kyle Wood
Skiing from nearby summit 5731m Athletes: Ernst Sprenger

Je me sentais acclimaté et il était maintenant temps de guetter la bonne fenêtre pour faire une tentative sur le sommet. On est reparti en direction du camp 3. À 17 heures, nous avions fini notre dîner et faisions fondre de la neige pour l’eau du lendemain. Maintenant repos avec nos alarmes réglées à 2 heures du matin. Nous avions du mal à dormir. Un vent violent secouait la tente et nous espérions qu’il allait se calmer comme le prédisait la météo. Et puis d’un coup l’alarme a sonné. C’était le moment ! On a bu et avalé tout ce qu’on pouvait.

Il faisait froid, le vent était fort et le ciel complètement clair. Ça allait aller, probablement. On était confiant. Faisons-le ! Pas à pas, on a commencé à suivre la crête menant au sommet. Je ressentais l’altitude, mais ça allait, c’était gérable. Puis le vent s’est mis à souffler plus fort. À chaque rafale, on devait s’arrêter car cela manquait de nous emporter. Ma confiance s’est ébranlée. Précédemment au camp de base, on avait beaucoup discuté sur le seuil de risque. Jusqu’où était-on prêt à aller ? Est-ce que cela avait du sens ou est-ce que cela devenait de la folie ? Ce fut très dur, mais après avoir parlé avec Rob, on a décidé de faire demi-tour. On a battu en retraite et on est retourné au camp 3. Malheureusement le temps s’est aggravé les jours suivants et nous n’avons pas eu d’autre opportunité.

Il y a tant de facteurs relatifs au ‘succès’. Il y en a qui sont gérables, d’autres qui vous échappent complètement. Certains diront que l’expédition fut un échec. Absolument pas, ce fut un succès sur toute la ligne. Nous avions réussi à mettre sur pied une telle expédition. Le simple fait d’être là était déjà un succès et, chaque pas vers le haut, une récompense.

Ernst Sprenger: @ehsprenger
Rob Johnson: @jobrobski
Kyle Wood: @kyledwood5

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