5 min. read | by Bruno Compagnet | 30 novembre 2016 | issue n°
Bruno Compagnet a passé une bonne partie de l’intersaison en Corse pour pratiquer son boulot estival, guide de canyoning. Perché aux confins d’I Forchi di Bavedda (Les aiguilles de Bavella), il a livré son âme à la solitude avant d’être rejoint par sa femina, Layla. Ensemble, ils ont plongé dans les canyons et se sont enfoncés plus profondément dans le maquis, là où la vie organique continue de régner sur la loi organique.
Difficile d’imaginer ce qui vous attend quand vous foulez pour la première fois l’île de beauté. Les clichés sont légion : les affaires, le FLNC, les attentats, le banditisme, les vendettas, les villas dynamitées, les forêts qui brûlent, les cochons en liberté sur les routes de montagne, la charcuterie, les bergers et les fromages « corsés » comme on les aime, et puis des plages parmi les plus belles de Méditerranée… Mais au-delà de ce folklore insulaire bien ancré dans l’imaginaire collectif, vous découvrirez un peuple attachant, fier de ses traditions, de sa langue et de ses chansons.
Les ombres Chinoises du canyoning.
Une des raisons principales qui me font aimer le canyon, c’est qu’ils sont comme les chemins de l’âme humaine : tortueux, lumineux, obscurs… Pleins de surprises, bonnes ou mauvaises. Ce sont des condensés de vie que l’on peut parcourir en une journée où quelques heures.
Septembre, fin des 70’s
Mon père, qui travaillait au bureau des guides de Saint Larry, m’avait embarqué dans un vieux break avec deux clients pour une virée dans le Haut Aragon. On avait suivi les méandres d’un très long canyon sous l’œil des vautours. On s’était baigné dans de l’eau verte émeraude entre d’impressionnantes murailles de calcaire d’où s’élançaient des nuées d’hirondelles. Des kilomètres sans croiser personne me confortaient dans ma certitude d’être un véritable aventurier et je n’étais pas peu fier de faire partie de ce groupe d’explorateurs. Plus loin, on avait découvert un figuier et du raisin sauvage, ce qui, dans mon imaginaire d’enfant, me persuada de notre arrivée dans un paradis secret. Les sauts dans la rivière me rendirent euphorique. Sur la marche du retour, la bouche pleine de mûres noires et sucrées, je savais que ce lieu allait tenir une grande place dans ma vie.
« Souvent conquise jamais soumise. »
Ce qui frappe par-dessus tout, c’est la richesse et la variété des paysages… Peu d’endroits dans le monde peuvent se prévaloir d’une telle diversité sur un territoire relativement réduit.
C’est un fait bien connu des voyageurs où de ceux qui l’ont traversé à pied, ici la réalité prend parfois des aspects de rêve éveillé. Ainsi, quand la mer et la montagne se mélangent et que les lumières du levant ou du couchant – jouant avec une nature sauvage – vous offrent, le temps d’un souffle, des visions tout droit sorties d’une discussion imaginaire entre un montagnard et un marin finissant une bonne bouteille de Myrte.
« Il faut prendre des risques, il faut toujours prendre des risques. Mais l’attente comporte aussi un risque. »
Paul Desmarais
De toute façon, si tu ne tentes pas, si tu n’essaies pas, si tu ne prends pas de risques, tu ne sauras jamais ce dont tu es vraiment capable, en canyon comme dans la vie.
Prendre le maquis.
Se perdre dans le sanctuaire des Aiguilles de Bavella avec quelques amis et, sans connexion, déconnecter le temps d’une escapade chaude et parfumée.
Un paysage de carte postale, mais qui sent la poussière et le sang… La première fois que je suis arrivé à Bavella, je n’avais qu’une idée, quitter la route et rentrer dans le décor.
« Plus nous ouvrons les yeux, plus la nuit est profonde
Dieu n’est qu’un mot rêvé pour expliquer le monde
Un plus obscur abîme où l’esprit s’est lancé. »
Alphonse de Lamartine
Quand j’ai commencé à amener des gens en canyon, l’un de mes amis guide plongeait d’un rocher qui faisait quatorze mètres. Il m’a fallu deux mois, soit tout un été d’entraînement, pour vaincre ma peur. C’est un feeling très pur. Aujourd’hui, si je plonge moins souvent, je continue d’adorer ça.
L’abandon
Nous avons suivi une route départementale sinueuse en buvant de la bière et en admirant les jeux de lumière. Notre objectif était de nous faire un coucher de soleil « carte postale » sur une plage. En chemin, une voiture brûlée sous un mur de pierre arrêta notre course. On découvrit un lieu complètement à l’abandon où pourrissaient des carcasses de voitures au milieu de bâtiments graffités dévorés par la végétation. Le lieu avait dû être le théâtre d’obscures fêtes menées par des individus aux pensées embrouillées…
Boucherie
Aujourd’hui, il est difficile d’imaginer et fort peu probable que toute la charcuterie et les salaisons qui sont vendues en Corse proviennent de cochons à demi sauvages qui auraient grandi en trottant librement dans le maquis en se nourrissant de glands et de châtaignes. Certains ont quand même cette chance…
Quand le jour se lève, je n’ai qu’une idée en tête, rider… C’est un songe qui surgit au crépuscule et m’accompagne tout au long de la nuit.
On a passé pas mal de temps en canyon avec Layla au cours des cinq derniers étés… On s’est parfois levé avant l’aube pour entreprendre des marches d’approches de plusieurs heures. Capter des lumières et des ambiances… Des choses magiques arrivent quand on a la volonté farouche de sortir des sentiers battus…
Black is Black
« Mais cette place est sans issue
Je commence à comprendre…
Est ce que ce monde est sérieux ? »
Francis Cabrel
Ambivalence